Château japonais

De RinKaNou
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L'importance des châteaux à l'époque Sengoku

À partir de la fin de la guerre d'Onin en 1490 s'ouvrit une nouvelle période de guerre, qui dura jusqu'en 1600, caractérisée par l'absence d'une autorité centrale forte et par les luttes incessantes entre daimyô locaux. La guerre à cette époque vit plusieurs évolutions, à propos desquelles l'on peut parler de « révolution militaire » (Cassel's World History of Warfare) : introduction des armes à feu, augmentation de la taille des armées, et importance accrue des châteaux.

En effet, ceux-ci étaient désormais des bases d'opérations essentielles pour les daimyô ambitieux qui comptait profiter de cette époque troublée : à partir de leur châteaux, ils pouvaient lancer raids et invasions. Une fois tel territoire convoité conquis, les châteaux servaient aussi, inversement, à le protéger contre les menées des daimyô adverses. À l'origine, le château est donc essentiellement une caserne, une base.

Cependant, au cours de la période Sengoku et notamment lors de la seconde moitié du XVIè s., la construction de châteaux connaît une intensification : les châteaux sont de plus en plus nombreux et de plus en plus importants. Cela est lié, non seulement à l'augmentation en taille des armées et des territoires des daimyô, mais aussi à trois facteurs qui donnent au château japonais des caractéristiques véritablement nouvelles : l'introduction des armes à feu, qui modifie l'organisation et l'étendue des défenses (cf. infra, « L'effet Nagashino ») ; la consolidation de la puissance économique des daimyô, en parallèle avec leur puissance politique et militaire ; enfin, conséquence en quelque sorte de cette dernière évolution, la volonté de faire du château un symbole de puissance et de richesse, une démonstration des capacités d'un daimyô. L'exemple par excellence de cette évolution fut donné par Oda Nobunaga avec son château d'Azuchi (cf. infra, « Les grands châteaux à donjon »).

Des villes castrales (jōkamachi, « ville sous le château ») se développèrent également, c'est-à-dire des villes véritablement centrées sur un château, autre avatar des troubles de l'époque Sengoku. Ainsi la ville castrale du château d'Hachigata, telle que décrite vers la fin du XVIè s. : « le château principal donnait sur une rive de la rivière, les autres côtés étant protégés par des douves et des levées de terre. Autour du château se trouvaient les demeures des samurai, des marchands, des artisans (tout spécialement ceux qui participaient à la fabrication d'armes) et des paysans. Le secteur intérieur de la ville était rempli d'auberges, de marchés et d'échoppes, tandis qu'à la périphérie étaient situés les temples et les autels. » (cité dans Cassel's World History of Warfare)

Ainsi, les châteaux devinrent un élément essentiel non seulement dans l'art de la guerre, mais aussi dans l'existence quotidienne du Japon de la période Sengoku. Devenus un moyen offensif autant que défensif, ils en vinrent à couvrir, par réseaux (cf. infra, « Les réseaux de châteaux ») l'ensemble du territoire ou presque. Toute voie de communication un tant soit peu importante était protégée par des châteaux. Et, de fait, la prise et la défense de ces châteaux devint une discipline militaire essentielle (cf. infra, « la poliorcétique ») tant l'attaque d'un château était un événement courant lors de la période Sengoku.

Histoire du château japonais ; ses différentes formes

Le yamashiro

Fichier:Iwakuni castle.jpg
La reconstitution du château d'Iwakuni, dont le site est typique d'un yamashiro : sur une colline boisée, dominant la vallée en contrebas et notamment un lieu de passage (pont et bac par-dessus la rivière).

À ses origines, le château japonais trahit les caractéristiques de l'environnement dans lequel il s'élève, et dont l'on cherche à faire le meilleur usage : à savoir, l'abondance dans le Japon médiéval de forêts et de montagnes. Les premiers châteaux s'élevèrent donc sur les sommets, d'où leur nom de yamashiro (« château de montagne ») ; leur forme suivait les courbes du relief. De fait, c'étaient aussi des constructions qui ressemblaient peu à ce que l'on appelle généralement un « château » : ils étaient en bois, et consistaient en une palissade d'enceinte reliant entre eux divers éléments (tours, portes...), le tout organisé avant tout selon les possibilités défensives du site. Dans les cas où aucun relief ne pouvait être utilisé, on construisait un site artificiel en creusant des douves, en érigeant des buttes avec la terre ainsi extraite, puis en utilisant ces buttes comme fondations pour une palissade. Quoiqu'on évitât autant que possible de recourir à ce pis-aller, la nécessité de couvrir des territoires où aucune montagne n'était disponible fit que les hirashiro (châteaux construits en rase campagne) et les hirayamashiro (châteaux construits sur de petites collines) n'étaient pas rares. Certains châteaux étaient aussi construits sur des îles naturelles ou artificielles, lacustres ou maritimes. D'autres encore s'adossaient à la côte, utilisée comme défense naturelle.

La période Sengoku : agrandissement et complexification

Les premiers yamashiro avaient essentiellement pour but la défense contre des invasions extérieures ; mais vers la fin de la période Heian (794-1185), la montée de la classe des samurai et les grandes guerres internes (guerre Gempei de 1180 à 1185, guerres Nanboku-chô de 1336 à 1392) rendirent la simple palissade d'enceinte du yamashiro insuffisante, et le château commença à se renforcer et à se complexifier. La période Sengoku, qui correspondit à une intensification des luttes entre daimyô et à une augmentation de l'effectif des garnisons, représenta l'apogée de ce développement. Le principe subsista, mais fut étendu et complexifié : au lieu de s'adapter entièrement au relief, on commença à tailler et creuser les montagnes, pour faire d'un groupe de sommets voisins un ensemble défensif d'enceintes interconnectées, en les transformant chacun en une large plate-forme. Le tout formait un réseau « en escalier », chaque plate-forme étant dominée et défendue par celle qui la surplombe. Sur ces plates-formes, l'on installait « palissades, tours, étables, entrepôts, chemins de ronde, ponts, portes, et généralement une version rudimentaire de donjon » (Turnbull, Samurai : the world of the warrior). L'enceinte se renforce également : les palissades sont remplacées par des murs de torchis sur une structure de bois. La pierre était peu utilisée, sauf pour renforcer les bords des plates-formes. Le yamashiro se construisait essentiellement par excavation, le creusement de la montagne étant le travail le plus important. Seules les ressources accrues des daimyô de l'époque, notamment en main-d'œuvre, permettaient un tel effort.

Les réseaux de châteaux

Tout comme le grand yamashiro d'un daimyô est désormais constitué d'un réseau d'enceintes groupées, l'usage des châteaux en général suit une évolution similaire, à travers une nouvelle organisation, elle aussi permise et rendue nécessaire par le pouvoir et le territoire grandissants des daimyô (cf. supra). Désormais, le yamashiro fonctionne en réseau : autour du château principal d'un daimyô (honjô) s'organisaient un ensemble de châteaux-satellites (shijô) moins importants, mais essentiels à la surveillance d'un vaste territoire. Ces shijô eux-mêmes avaient leurs châteaux-satellites, qui souvent prenaient la forme d'un petit yamashiro au sommet d'une colline tel qu'on le faisait à ses débuts et réduit à sa plus simple expression : une palissade, les casernements de la garnison, une armurerie et une clairière servant à allumer des feux pour les signaux. Enfin, de ces satellites de satellites pouvaient dépendre des postes de garde, ainsi que des tours de guet et de signalisation. Celles-ci étaient essentielles pour relier entre eux les divers éléments du réseau de défense.

L'« effet Nagashino » : l'extension des fortifications de terre

En 1575, Oda Nobunaga défait lors de la bataille dite de Nagashino l'armée du clan Takeda, qui assiégeait le yamashiro de Nagashino. Le clan Takeda, qui possédait une puissante cavalerie, alla à la rencontre de Nobunaga venu secourir les assiégés. Ce dernier arrêta les charges des Takeda avec ses arquebusiers, à l'abri derrière un « château instantané » (Turnbull, Samurai : the world of the warrior) composé des défenses naturelles de sa position et de rangées de pieux. L'influence de ce Crécy ou Azincourt à la japonaise fut immédiate : on prit conscience du potentiel des armes à feu, et, pour mieux l'exploiter, on construisit de plus en plus des buttes de terre éventuellement renforcées de murs de pierre, pour fournir aux arquebusiers des plates-formes de tir. Ceci pouvait être fait en peu de temps sur le site prévu d'une bataille, et les plates-formes de terre furent utilisées avec succès par les Japonais pendant leurs luttes en Corée contre l'armée des Ming (1592-1598).

Les grands châteaux à donjon

Ces fortifications « de campagne », très simples, firent aussi leur apparition autour des châteaux. D'autre part, le même Oda Nobunaga qui, victorieux à Nagashino, avait montré l'efficacité des plates-formes de tir rudimentaires en terre, montra aussi l'intérêt de ce qui pouvait sembler l'exact opposé en matière de fortification : le donjon massif bâti sur une plate-forme de pierre. Il en donna l'exemple en 1576 avec son château d'Azuchi (Wikipedia:en). Celui-ci n'était pas entièrement révolutionnaire : il utilisait, comme ses prédécesseurs, une plate-forme bâtie à partir de collines arasées et renforcée par un encadrement de murs de pierre. Mais Azuchi poussait cette technique à la perfection, ce qui permettait l'érection d'un massif donjon haut de sept étages et entouré de plusieurs « petits » donjons, chacun de la taille du donjon central d'un yamashino normal. Azuchi possédait aussi quatre enceintes concentriques. L'exemple fut rapidement imité, par exemple au château d'Osaka, bâti par Hideyoshi en 1586 (Wikipedia:en) ; l'actuel palais impérial est aussi, à l'origine, une forteresse de ce type, celle d'Edo, bâtie par Tokugawa Ieyasu (Wikipedia:en).

Ce plan du château d'Himeji montre tout le réseau d'enceintes et de douves qui entourait un grand château typique de la fin de la période Sengoku.

Tout comme les enceintes périphériques de nombreuses villes européennes ont disparu, il ne reste plus guère aujourd'hui des grands châteaux de la période Sengoku que leurs donjons. Or, ces donjons, pour majestueux qu'ils soient, ne sont en fait pas l'élément essentiel : bien plus vital est le vaste réseau d'ouvrages extérieurs qui le défend, constitué de plates-formes de tir du type précité, mais désormais, de plus en plus, renforcées par des murs de pierre soutenant une massive motte de terre. Le tout ressemblait étonnament aux vastes réseaux de bastions que l'on commençait à construire à la même époque en Europe autour des villes et des citadelles. Ainsi, le donjon du château d'Osaka était situé au centre d'un périmètre défensif constitué par des murs d'une circonférence de 19km. L'attaquant ne pouvait atteindre le donjon qu'après avoir traversé et pris toute une série d'enceintes et de défenses successives. L'ensemble - donjon et réseau extensif d'enceintes - représenta la véritable rupture avec le modèle du yamashiro demeuré jusqu'ici inchangé dans ses principes.

Anatomie du château : ses éléments

Les palissades

Les murs à base de bois, qui lors de la période Sengoku étaient très souvent renforcés par du torchis, étaient un élément constitutif majeur du château japonais : toutes les parois étaient ainsi faites, et notamment les murs d'enceinte ou les galeries couvertes qui permettaient de relier entre elles les différentes parties d'un château.

Le mode de construction d'une palissade d'enceinte nous est donné par les ordres donnés par Hôjô Ujikuni en 1587 pour l'entretien du châtau d'Hachigata : « Au sommet des levées de terre, à un intervalle d'un ken, plantez de gros pieux de bois. Placez deux hampes de bambou à l'horizontale entre eux, et placez quatre fagots de bambou au-dessus en utilisant les [quinze] petits piquets [de bois], en les attachant avec six rouleaux de corde et en les couvrant ensuite de roseau. » (cité dans Turnbull, The Samurai Sourcebook) Cette structure était ensuite complétée avec un mélange d'argile rouge et de pierre. Certains murs étaient recouverts de tuile plutôt que de roseau, et on donnait parfois au plâtre les recouvrant une finition avec une couche extérieure blanche, comme on en voit aujourd'hui sur les châteaux japonais. Cependant, ces murs n'étaient pas spécialement solides. À Hachigata, un ordre de 1563 dit de les réparer tous les cinq ans, sans compter les éventuels typhons qui pouvaient endommager ces murs.

Contrairement aux murs des châteaux européens, les murs des châteaux japonais n'avaient pas de chemin de ronde. Par contre, on laissait les extrêmités des pièces de bois qui entraient dans leur fabrication dépasser à l'intérieur de l'enceinte ; on pouvait ensuite poser sur ces supports des planches pour constituer un ishi uchi tana (« étage pour lancer des pierres »). Malgré ce nom, c'étaient surtout les archers, et plus tard les arquebusiers, qui utilisaient cet échafaudage pour tirer par-dessus le haut du mur qui formait alors un parapet, ou à travers des meurtrières aménagées dans la paroi.


Levées de terre et fondations de pierre

Comme expliqué ci-dessus, la construction de plates-formes par arasement de sommets et renforcement des bords par des murs de pierre est d'abord apparue pour donner au yamashiro plus d'espace. Elle permit également de bâtir des "mottes" artificielles là où aucun sommet n'existait. Comme dans le cas des mottes castrales européennes, ces élévations, quelle que soit leur nature, servaient des impératifs pratiques (aide majeure à la défense du château, meilleure vue sur l'espace environnant) mais aussi, sans doute, une symbolique sociale (la position dominante d'un point de vue topographique du château seigneural reflétant son pouvoir et son statut).



Sources

  • Samurai : the world of the warrior, Stephen Turnbull, Osprey Publishing, 2003.
  • The Samurai Sourcebook, Stephen Turnbull, Cassell, 2000.
  • Cassel's World History of Warfare, Holweg Herwig, Christon Archer, Timothy Travers & John Ferris, Cassel, 2002.